Construire des Lgts abordables !

  « La clé, c’est de produire des logements abordables »

Alors que s’est achevée jeudi la conférence de consensus sur l’habitat, le député PCF Stéphane Peu décrypte la politique du gouvernement sur le sujet et avance ses propositions.

 Dans son dernier rapport, la Fondation Abbé-Pierre a livré un bilan très critique de la politique du logement du gouvernement. Vous partagez ces critiques ?

Stéphane Peu Oui. Pour l’instant, ce gouvernement ne prend en compte ni la démocratie sociale, ni les corps intermédiaires, ni le Parlement. Un exemple : la mesure imposée aux organismes HLM, qui vont devoir réduire les loyers de l’ordre de 50 à 60 euros pour compenser la baisse des APL....

C’est extrêmement grave, car cela met à mal le principe économique de base du logement social : un loyer à l’équilibre. Dans le secteur, le montant du loyer payé par les locataires est fixé pour permettre de rembourser l’emprunt qui a servi à financer terrain et construction. C’est cet équilibre que le gouvernement détruit avec cette baisse imposée. Cette politique est une impasse, qui va conduire, à terme, à des loyers plus chers, et ce sans créer le « choc d’offre » pourtant nécessaire dans un pays déficitaire en logements.

 S’agit-il seulement de faire une série d’économies ?

Stéphane Peu Pas seulement. La preuve, c’est que toutes les propositions faites par le mouvement HLM pour réaliser les mêmes économies budgétaires ont été écartées. Ce refus d’aménager le dispositif et de rouvrir la discussion pour que la mesure d’économie s’intègre dans une loi logement cohérente interroge. La motivation n’est donc pas budgétaire, mais idéologique. C’est une déclinaison de la doxa libérale qui anime ce gouvernement et surtout le président de la République. Cela explique l’attitude très dogmatique de Julien ­Denormandie, le secrétaire d’État à la ­Cohésion des territoires, un proche d’Emmanuel Macron. Ce n’est pas leur faire un procès d’intention car ils savent quelles seront les conséquences de leur réforme : 40 % des organismes HLM seront dans le rouge dès 2018, et 70 % en 2019. À horizon des trois ans, c’est 90 % du mouvement HLM qui sera sans moyens d’agir ou d’investir, notamment dans les zones tendues.

 Si l’enjeu n’est pas budgétaire, que veulent-ils faire ?

Stéphane Peu Il s’agit d’affaiblir les organismes HLM pour accélérer un regroupement déjà en cours. Ensuite, on désigne trois ou quatre grands groupes nationaux qui vont se répartir les 4,5 millions de logements HLM : un affilié à la Caisse des dépôts et consignations, un autre aux caisses d’épargne, un adossé aux compagnies d’assurances comme Axa, qui a déjà des organismes HLM, et un dernier lié à Action Logement, l’ex-1 % patronal. Ce ­regroupement va permettre d’adopter des modes de gouvernance basés sur des logiques économiques et financières. En d’autres termes, d’ouvrir le capital à des investisseurs. Il n’y aura plus d’élus locaux, qui géraient les offices publics de l’habitat (OPH), et plus de gestion issue du paritarisme social, comme les entreprises sociales pour l’habitat (ESH). Ces deux caractéristiques historiques du ­logement social vont disparaître. Surtout, la ­financiarisation va ­permettre de vendre. Alors que, actuellement, les logements HLM n’ont pas de valeur et ne sont pas décomptés comme faisant partie du capital des organismes. L’idée du gouvernement, c’est qu’en cédant massivement du patrimoine et en rémunérant du capital, on fait en sorte que les HLM se débrouillent tout seuls, ça veut dire que c’est la fin du logement conventionné et, avec lui, de la solidarité nationale. Ça veut dire que le logement des personnes modestes va être financé par les personnes modestes.

 Cette logique a-t-elle déjà été mise en œuvre ?

Stéphane Peu On a vu ce processus à l’œuvre dans les années 2000 sur le dossier Icade. Les logements de ce bailleur ont été basculés vers une société qui n’était pas HLM. Au fur et à mesure que les locataires sortaient, ils étaient mis en logement libre, sans contrainte quant au montant du loyer. Cinq ou six ans après sa création, la société est entrée en Bourse avec une ouverture du capital. Avec des valeurs très basses de l’action, des actionnaires, pour l’essentiel basés dans des paradis fiscaux, sont alors entrés au capital à hauteur de 45 %. Au début, ils ont vendu aux occupants logement par ­logement. Mais ça a créé beaucoup de catastrophes et les élus locaux se sont mobilisés. Face à cette levée de boucliers, un consortium d’achat a été mis sur pied et ils ont vendu 42 000 logements, en un seul bloc, à un regroupement d’organismes HLM. Mais avec une énorme plus-value par rapport au prix de base de l’action…

 Que préconisez-vous, à rebours de cette logique libérale ?

Stéphane Peu Il faut changer de politique en se tournant vers une production massive de logements abordables. Parce que, indépendamment du manque de logements, il faut tenir compte d’un autre phénomène : la dégradation du pouvoir d’achat des familles. Il n’y a pas assez de logements et ceux qui existent sont trop chers. Deux problématiques liées, car la pénurie fait augmenter les prix. Quand on voit les prix de l’immobilier et qu’on les met en parallèle avec le salaire médian des Français, d’environ 1 700 euros, ça ne peut pas tenir. Entre 2002 à 2012, le budget des ménages consacré au logement, toutes catégories confondues, est passé de 18 % à 24 % de leurs revenus. Le logement est donc le premier facteur de dégradation du pouvoir d’achat des familles. En parallèle, si on regarde l’évolution du classement des plus grosses fortunes, on observe que, parmi celles qui sont entrés dans le top 500 ces quinze dernières années, deux professions dominent : l’économie du Net et l’immobilier. Le logement n’est donc pas un segment économique marginal pour les libéraux. Mais cette libéralisation est risquée. Ce sont justement les excès dans ce secteur qui sont à l’origine des grandes crises de ces dernières années : en Espagne, au Portugal, mais aussi aux États-Unis avec les subprimes.

 Ne faut-il pas, malgré tout, réformer aussi le logement social ?

Stéphane Peu Bien sûr ! Le secteur HLM a 120 ans et n’a pas cessé de s’adapter, de se moderniser, parfois à l’initiative des organismes eux-mêmes. J’ai par exemple présidé à la fusion de cinq ­organismes. La vraie question, c’est : est-ce qu’on est capable de construire des logements moins chers ? Actuellement, le logement HLM est produit en moyenne à 7,50 euros du mètre carré. Concrètement, avec un loyer à 7,50 euros, ça veut dire, pour un F2 de 40 m2, un loyer charges comprises qui tourne autour de 400 à 450 euros. Pour une personne au Smic, cela fait 40 % de taux d’effort. C’est un prix élevé qui entraîne une forte consommation d’APL. Alors que, avec un loyer à 4 euros, le smicard gagne du pouvoir d’achat et ce sont autant d’économies de réalisées sur les 56 % de locataires qui perçoivent l’APL. La logique à l’œuvre aujourd’hui, une logique libérale court-termiste, est tout autre : on choisit d’aider les gens ad vitam aeternam à payer leur loyer, plutôt que d’aider une fois à l’investissement, pour obtenir un loyer moins cher, qui nécessite moins d’aides sociales. C’est socialement et économiquement incohérent.

 Mais construire du logement HLM à 4 euros le mètre carré, c’est possible ?

Stéphane Peu Oui, et ce sans augmenter de manière inconsidérée les subventions publiques. Pour cela, il faut simplement doubler les aides, pour les passer de 450 à 900 millions d’euros, ce qui reste compatible avec le traité de Maastricht. Mais surtout, il faut redonner à la Caisse des dépôts et consignations un rôle de prêteur de long terme, à un meilleur taux. C’est-à-dire revenir à des prêts à 50 ou 70 ans, au lieu de 20 ou 30 ans comme actuellement. C’est d’ailleurs le même problème pour toutes les grandes infrastructures : quand on faisait une ligne de métro en 1900, on empruntait sur 80 ans. Aujourd’hui, c’est sur 20 ans. Comment expliquer que ce qui était possible il y a plus d’un siècle ne le soit plus aujourd’hui ? Les grandes infrastructures sont-elles devenues plus éphémères ? Non. Il y a enfin des efforts à faire dans la construction. La filière française du bâtiment est très performante, mais dominée par des groupes très puissants qui font la pluie et le beau temps sur les coûts de production. Il y a sans doute des marges financières à conquérir de ce côté.

 Quelles sont les autres pistes prioritaires de réforme du secteur ?

Stéphane Peu Pour produire des logements abordables, il convient de supprimer une partie des nombreux mécanismes de défiscalisation dont bénéficie le secteur privé. Il faut en garder un peu, pour les primo-accédants et les catégories modestes qui veulent devenir propriétaires. En ­revanche, les défiscalisations type Pinel ou Robien, qui avantagent les propriétaires investissant dans le secteur ­locatif, coûtent très cher au budget de l’État et sont socialement une absurdité, puisque leurs bénéficiaires sont déjà propriétaires. C’est de l’argent public donné à des multipropriétaires pour qu’ils acquièrent davantage de biens ! Depuis Pinel, cette défiscalisation s’applique même à ceux qui achètent pour loger leurs enfants. Et ce, sans contrepartie sur le montant des loyers, c’est-à-dire sans conditions de prix garantissant que ces investissements bénéficient à des locataires modestes. Et comme ces mécanismes durent 9 à 12 ans, cela signifie que ces dispositifs vont amputer le budget de l’État sur le temps long. Or, les prix, eux, continuent d’augmenter, tout comme les fortunes immobilières, nourries par des systèmes de promotion drogués à l’aide publique.

 C’est-à-dire ?

Stéphane Peu Par exemple, lors de la crise de 2008, certains promoteurs ont connu des difficultés. On a appelé les organismes HLM à la rescousse pour déstocker les logements de ces promoteurs, afin d’éviter qu’ils coulent. Résultat, aujourd’hui, 40 % du chiffre d’affaires des promoteurs se fait via des ventes aux organismes HLM et 40 % grâce à la défiscalisation. Au total, le chiffre d’affaires des promoteurs immobiliers, c’est 80 % d’argent public ! Il y a là un gisement qu’on pourrait orienter vers un objectif socialement plus juste. Cela veut dire qu’on peut, à moyens constants, inverser la logique pour répondre, enfin, à la crise du logement. Comme le rappelle régulièrement la Fondation Abbé-Pierre, nous ne sommes pas confrontés à une simple pénurie, mais à une crise du logement « abordable ».


Dernière mise à jour : ( 11-02-2018 )